Qui sont les futurs fermiers du 93 ?
- L'appel à projets Parisculteurs, grâce auquel la Ville de Paris, le conseil départemental du 93 et les villes du département aident des agriculteurs à s'installer en zone urbaine, a récompensé 2 associations de Seine-Saint-Denis..
- Veni Verdi va pouvoir cultiver un hectare de terre à Sevran et Vergers urbains va remettre la culture et l'artisanat autour de l'osier à l'honneur à Pierrefitte...
- En participant à Parisculteurs, le Département veut donner une seconde vie à des parcelles parfois abandonnées et éveiller les plus jeunes au bien-manger.
Des agriculteurs vont bientôt s’installer à Sevran et Pierrefitte pour cultiver des fruits et légumes, et faire pousser de l’osier pour confectionner des paniers… et ce n’est même pas le scénario d’un film ou d’un navet français. Appelés à l’estrade par Audrey Pulvar, adjointe à la maire de Paris en charge de l’alimentation durable, ce matin du 10 octobre, à l’Académie du climat à Paris, Nadine Lahoud, de l’association Veni Verdi et Sébastien Goeyser, de l’association Vergers Urbains, comptent parmi les heureux lauréats de la saison 5 de l’appel à projets « Parisculteurs ».
« Je savais pas que ça poussait comme ça, les frites »
Depuis 2016, la mairie de Paris pilote ce projet qui consiste à mettre en adéquation des terrains propices à l’agriculture urbaine et des porteurs de projets volontaires pour les cultiver. Lors de cette 5e édition, la parcelle de terres arables situé le long du canal de l’Ourcq à Sevran est revenue à Veni Verdi. Fondée en 2014 dans le XXe arrondissement de Paris, l’association propose d’abord à des publics scolaires de cultiver des légumes sur les toits de leurs écoles et collèges. « L’idée m’est venue lorsqu’un gamin m’a dit : « Je ne savais pas que ça poussait comme ça, les frites » en désignant des haricots blancs », narre Nadine Lahoud, sa fondatrice, qui travaillait auparavant dans la grande distribution. Son bagout et sa débrouillardise semblent avoir fait mouche, car l’association compte aujourd’hui 22 salariés, cultive sur les toits de sept établissements scolaires, intervient dans 42 d’entre eux et produit 3,5 tonnes de légumes chaque année.
En Seine-Saint-Denis, Veni Verdi a déjà amorcé nombre de jardins partagés, à Clichy-sous-Bois, Saint-Denis ou Epinay. Mais cette parcelle en pente, entre le golf et une petite zone résidentielle à Sevran représente pour l’association un changement d’échelle : un hectare, ce n’est pas rien. Il devrait être divisé entre une zone consacrée à la production en tant que telle, notamment à destination de la restauration collective, et une autre dédiée aux publics scolaires qui pourront cultiver leurs fruits et légumes.
Place du village
« Le projet a retenu notre attention, car il s’agit de l’alliage d’un projet productif et pédagogique. La prise en compte des jardins informels a été décisive dans notre choix », explique Martin Aubel, chef de la division projets d’agriculture urbaine de la Ville de Paris, membre du jury de Parisculteurs. Car la parcelle mise en jeu avait déjà été investie de manière informelle par les riverains. Le projet proposé par l’association intégrait ces initiatives antérieures. « Ce sera une ferme ouverte sur le quartier. J’imagine une sorte de place du village, avec un lieu dédié à la distribution directe de légumes aux habitants du quartier, des moments où les gens viendront apprendre à cultiver et transmettre aux autres. On viendrait y fêter le 14 juillet, faire une fête du blé, de la salade. J’aimerais que les gens qui ne partent pas en vacances, l’été, viennent y récolter des légumes et manger ensemble autour d’une partie de tarot », rêve Nadine Lahoud.
Les deux autres grands vainqueurs de cette cinquième saison de Parisculteurs s’appellent Vergers urbains et Tressage Urbain. Vergers urbains est une association âgée d’une dizaine d’années crée des jardins partagés, des micro-fermes urbaines avec l’objectif de végétaliser l’espace public. Tressage urbain est une jeune association fondée par une passionnée de vannerie. L’attelage a proposé de cultiver sur ce terrain des saules de vanniers, dont est issu l’osier dont on fait les paniers. « Seule l’osériculture était envisageable sur la parcelle Utrillo, mitoyenne au collège Gustave Courbet, car il s’agit d’un terrain pollué. La culture de tels arbres contribue d’ailleurs à la dépollution des sols. L’idée, sur ce terrain, est d’aller au-delà des cultures comestibles, de produire des matières brutes et sauvages », explique Sébastien Goelzer, ancien collégien de Gustave Courbet, à Pierrefitte, où se trouve la parcelle. Cet osier pourra ensuite servir à créer des clôtures vivantes ou des cabanes. « Nous voudrions accueillir des élèves pour leur montrer ce qu’on peut faire avec l’osier, les initier à des savoir-faire en voie de disparition. Mais aussi leur permettre de disposer de cours de récré moins aseptisées, des terrains d’aventure plus sauvages, où la nature a sa place », explique Sébastien Goelzer. « L’attention particulière de Vergers Urbains et Tressage Urbain portée sur la dimension esthétique, les saules et les arbres fruitiers adoucissant le paysage urbain, a été un atout pour emporter l’appel à projets portant sur la friche attenante au collège Gustave Courbet », souligne Martin Aubel.
Nourrir la ville
La ville de Paris et la Seine-Saint-Denis ont noué un partenariat et une convention de coopération dont l’agriculture est un volet dès la saison 3 de Parisculteurs. Les projets hors de la ville de Paris représentent désormais la moitié des terrains mis en jeu. « Au départ, il y avait un enjeu de végétalisation de la ville à Paris, et nombres d’associations participantes étaient sensibles à l’agriculture, à l’alimentation durable, à la biodiversité ou à la lutte contre les îlots de chaleur. Aujourd’hui, les projets sélectionnés contribuent à nourrir la ville. Ce sont des tonnes de champignons qui sont produits dans les parkings, des micropousses qui permettent aux restaurateurs de se fournir en circuit court », explique le fonctionnaire. Le dispositif Parisculteurs sert aussi parfois de tremplin à des urbains tentés par l’agriculture, mais qui veulent pratiquer un peu le métier avant de sauter le pas et d’aller s’installer en milieu rural.
« La Seine-Saint-Denis profite de l’expertise de la ville de Paris en terme d’analyse des sols. Ils savent ce qu’on peut ou pas faire sur une terre polluée, en pleine terre, quelle terre peut accueillir quel type de plante etc… et nos services travaillent ensemble à la sélection des projets », explique Belaïd Beddredine, vice-président du conseil départemental délégué à l’écologie urbaine. En amont des projets, le Département repère dans son foncier les terrains dont elle ne compte rien faire de particulier. « Le partenariat nous permet de diversifier les porteurs de projets. De notre côté, nous nous engageons à fournir des lots viabilisés, à construire les clôtures, apporter l’eau, l’électricité etc. Mettre ces terrains à dispositions d’associations pour des sommes modiques évite aussi les occupations illégales », explique Belaïd Beddredine.
Fertiliser les rapports sociaux
« Il faut partir de deux constats : l’Ile-de-France compte 300 hectares exploités pour 8 millions d’habitants. Autrement dit, nous importons tout ce que nous consommons. Par ailleurs, le panier moyen d’une famille française de quatre personnes s’élève à 750 euros. En Seine-Saint-Denis, ce chiffre s’élève à seulement 450 euros. Nous savons que nous ne nourrirons pas notre population avec ces exploitations. Mais elles permettent de sensibiliser dès le plus jeune âge au goût, à l’alimentation équilibrée », argumente l’élu, qui encourage les exploitations à vendre leur production à proximité.
Les agricultrices qui ont repris les « Murs à fleurs », à Montreuil, parviennent désormais à se payer des salaires en vendant des fleurs à Montreuil et à Paris. Au Parc du Sausset, des enfants de l’Aide sociale à l’enfance viennent cultiver. A Terre terre, à Aubervilliers, un bar-restaurant transforme ce qui est cultivé dans une soixantaine de lopins de terre mis à disposition des familles… Les projets lancés lors des saisons précédentes de Parisculteurs semblent viables et améliorent la vie des habitants du département. « Ils permettent de valoriser les sites, de dépolluer, de refaire vivre la terre… les porteurs de projets peuvent aussi participer aux appels à projets « In Seine-Saint-Denis » pour financer ici un récupérateur d’eau, là, des toilettes sèches. Le conseil départemental peut aussi parfois se fournir chez eux », ajoute Belaïd Beddredine. Au travers de ces projets, le Département poursuit plusieurs objectifs : faire émerger des structures de l’économie sociale et solidaire de grande taille, susciter l’orientation des jeunes Séquano-dionysiens vers de nouveaux métiers, et surtout, créer du lien social. « Pour moi, le contrat est rempli quand j’entends qu’un maître composteur à Bobigny a fertilisé la terre, et surtout les rapports sociaux », estime Belaïd Beddredine.